Cédric BUGNON 22 octobre 2024 Divers


Organiser une course n'est éthiquement plus possible

Les signaux envoyés par l'UCI à propos de la sécurité en course sont trop contradictoires.

© L'expérimentée Hayley Simmonds sur Instagram

Le 1er septembre dernier, la 5e édition du Chrono ''Roland Bouge !'' se tenait à St-Martin. Pour la première fois, l'épreuve était labellisée UCI classe 2 pour les femmes et a attiré plusieurs stars de la discipline dans des conditions de sécurité parfaite, sur une route totalement fermée à la circulation. L'épreuve s'est terminée dans un orage tempétueux d'une intensité rencontrée en moyenne tous les 5 ans, d'après MétéoSuisse. L'épreuve a enregistré environ 12'000 CHF de dégâts matériels. Ces dégâts ne seront pas couverts par l'assurance RC de la manifestation car les phénomènes météorologiques exceptionnels sont exclus de la couverture.

La Pédale Romande a demandé une promotion en UCI classe 1 de son épreuve pour la saison 2025 afin de pouvoir continuer à attirer des concurrentes du niveau World Tour. Ce changement étant absolument nécessaire en raison d'une modification du règlement de la part de l'UCI qui interdira (dès le 1er janvier 2025) aux concurrentes du World Tour de participer à des épreuves UCI classe 2. Cette promotion en classe 1 devait assurer à la Pédale Romande un soutien d'environ 40'000 CHF en subventions et sponsoring, mais cette manne financière reste conditionnée à la participation des équipes du World Tour.

Le commissaire UCI qui officiait sur l'épreuve a rendu un rapport plutôt élogieux de l'épreuve avec quelques petits détails mineurs à corriger pour 2025. Cependant, l'UCI a décidé le 3 octobre dernier, de manière surprenante, de ne pas promouvoir notre épreuve en UCI classe 1 en raison d'un manquement avéré à l'Annexe A du règlement UCI route sans préciser le point manquant dans un but de correction. Néanmoins, un seul point de cette annexe au règlement était réellement absent : ''Résumé de 2 minutes minimum de la course ou de chaque étape partagé à minima sur les réseaux sociaux''.

Malgré une explication de notre part où nous justifions cette absence de résumé télévisuel en raison de la captation d'images rendue impossible par la tempête, l'UCI a confirmé que notre épreuve ne serait pas inscrite au niveau UCI classe 1 en 2025.

Voici notre dernier courriel adressé le 22 octobre 2024 à l'UCI, expliquant pourquoi la Pédale Romande se retrouve désormais dans une position éthiquement difficile à défendre, et pourquoi notre association préfère renoncer à l'organisation d'épreuves cyclistes sur route dans le futur.



Bonjour,

Merci pour votre réponse.

J'ai eu un téléphone avec vous l'an dernier dans le but de promouvoir le Chrono ''Roland Bouge !'' directement en classe 1. Vous m'avez répondu que ce n'était pas possible en tant que nouvel organisateur, ce que j'ai parfaitement compris. Je vous avais expliqué notre organisation, la manière dont elle fonctionnait, et pourquoi nous avions impérativement besoin des équipes du WorldTour au départ de notre épreuve.

Pour rappel : 10 courses organisées de A à Z chez les jeunes et amateurs, mais aussi environ 30 courses où nous sommes soit chronométreur, soit impliqués dans la sécurité, soit les deux. Nous sommes également le principal média de promotion du cyclisme amateur en Suisse Romande. Aspect moins connu, nous avons un volet coaching auprès des jeunes jusqu'à 23 ans et comptons actuellement 6 coureurs faisant partie des cadres nationaux de Swiss Cycling. On chronomètre également la majorité des courses qui sont organisées au vélodrome d'Aigle, soit dans vos locaux.

Lors de notre téléphone de l'an dernier, je vous avais simplement expliqué en quelques mots la difficulté croissante pour garder une telle organisation debout, et que notre survie dépendrait d'une épreuve ''phare'' qui attire sponsors et subventions. Vous m'aviez répondu, mot pour mot : ''je comprends votre situation, mais sans problème majeur en 2024, vous pourrez être en classe 1 en 2025 après avoir fait vos preuves''.

Le rapport (en pièce jointe), ne montre aucun souci majeur de sécurité, au contraire. Quelques détails (ne concernant pas la sécurité) à améliorer, qui par ailleurs concernent surtout la course nationale et non la course internationale. Comme par exemple des toilettes pour les commissaires dans la zone de départ (mais avec 30 coureuses, en 1 heure c'était plié), des supports pour les vélos, et un horaire pour la réunion des directeurs sportifs différents (tout en sachant que celui appliqué était celui conseillé dans le guide de l'organisateur de l'UCI...).

Le seul critère non-respecté de l'Annexe A du règlement route, ce sont les 2 minutes de diffusion à minima sur les réseaux sociaux. Il se trouve que nos 2 personnes en charge de filmer l'épreuve ont eu la présence d'esprit de délaisser les caméras pour coucher les barrières Vauban sur le sol car le vent était tellement violent que celles-ci menaçaient de tomber et auraient pu blesser les participantes. Je les remercie d'avoir eu cette présence d'esprit, alors que l'on vit dans un monde où les gens ont de plus en plus le réflexe de sortir les téléphones pour filmer des personnes en danger plutôt que de leur venir en aide.

J'ai constaté par le passée que l'UCI n'hésite pas à accorder/prolonger des statut de classe 1 à des épreuves, certes télévisées, mais extrêmement dangereuses et avec de lacunes énormes de sécurité. Comme le Tour des Pyrénées Féminin, reconduit en 2024 après une édition 2023 absolument catastrophique engendrant même la grève des coureuses et l'annulation de la dernière étape. En 2023 également, j'ai dû, alors que j'étais directeur sportif sur [***nom d'épreuve masqué online pour éviter un polémique***], quitter mon rôle pour doubler un petit groupe de 3 coureuses qui jouaient la 10e place. J'ai dû assurer moi-même la sécurité dans la descente du dernier col après que l'on ait failli avoir, par 2 fois, une collision frontale avec une voiture montant en sens inverse. Le groupe n'était absolument pas sécurisé par l'organisateur. Je vous ai remonté cette information, je n'ai eu aucun retour de votre part et l'organisation a été prolongée en classe 1 en 2024.

J'ai donc moi aussi mis du temps à vous répondre, car cela nécessitait réflexion de notre part. Tout d'abord, avec près de 40'000 CHF de sponsors/subventions que nous n'allons finalement pas recevoir suite à votre décision, nous n'organiserons pas cette épreuve l'an prochain et je vous confirme encore une fois que vous pouvez la rayer de votre calendrier. Mais ce n'est pas cela qui nous dérange le plus. Ce qui nous attriste, c'est que ce sont également toutes nos autres épreuves qui vont disparaitre du calendrier national et régional. Nous ne pouvons plus continuer avec pratiquement aucun moyen. Nous sommes revenu dans la situation de départ, mais avec des dizaines de milliers de francs de dégâts dû à la tempête ce qui nous oblige pratiquement à mettre la clé sous la porte. Cela impactera évidemment les environ 30 autres organisations dans lesquelles nous étions engagés (et dont vous trouverez la liste sur notre site). L'UCI n'est bien sûr ni responsable de la tempête, ni de la situation générale qui étrangle les organisateurs.

Mais je ne peux que regretter que l'UCI ne regarde pas le problème dans son ensemble et n'ait pas la moindre bienveillance ni discernement envers des gens qui développent bénévolement et patiemment la base du cyclisme depuis des années, qui ont réussi à faire repartir les chiffres de participation à la hausse dans le cyclisme sur route ces dernières années dans notre région. Je suis vraiment triste pour ces bénévoles qui ressentent tous, aujourd'hui, une profonde tristesse de voir ces années de travail balayée d'un revers de main. Cet arrêt sera dommageable pour absolument tout le monde, y compris l'UCI.

Le principe de notre organisation était de pouvoir faire courir les jeunes dès 11 ans et les populaires sur le même parcours que les pros, dans les mêmes conditions, afin de créer des vocations. Puis nous avions nos autres épreuves pour les accueillir et les former. J'étais certain que ce principe allait plaire à l'UCI (mais l'avez-vous même remarqué ?). En tous les cas, il a plu aux sponsors, médias, TV et radios qui ont parlé de ce concept dans plusieurs émissions en amont de l'épreuve. Et bien sûr, partagé massivement sur les fameux réseaux sociaux.

Mais d'un autre côté, cette décision n'est peut-être qu'un mal pour un bien : j'ai beaucoup de peine à me dire que des organisations parfaitement sécurisées comme la nôtre sont mises de côté en raison d'un manque de 2 minutes de visibilité pendant que des organisations clairement défaillantes sont maintenues en classe 1 sous promesse d'une amélioration l'année suivante. Il est certain que de recevoir votre décision 6 jours après le décès de Muriel Furrer n'a pas facilité la digestion de cette information de notre côté. Les questions que nous nous posons : devons-nous encore former des jeunes dans le cyclisme sur route ou est-ce trop dangereux ? Si l'UCI préfère la visibilité médiatique à la sécurité, est-ce bien prudent et surtout éthique de promouvoir ce sport ? Est-ce que l'UCI essaie réellement d'améliorer la sécurité sur les courses ? Est-ce que nous nous sentirons coupable d'avoir formé la prochaine Muriel ou le prochain Gino ?

Quoi qu'il en soit, la Pédale Romande n'est pas en mesure d'organiser ses épreuves nationales ni son épreuve internationale en 2025 pour des raisons financières. Elle pourrait organiser ses épreuves régionales, mais y renoncera aussi longtemps que les signaux envoyés par l'UCI à propos de la sécurité en course seront contradictoires. Cette décision nous apparait comme la plus éthique et respectueuse envers les coureurs et parents de coureurs dans la situation actuelle.

Je vous remercie d'avoir pris note de ces informations et vous adresse mes meilleures salutations,
Cédric Bugnon
Président de la Pédale Romande


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