© Zoé Soullard - Direct Vélo |
Le Neuchâtelois Justin Paroz sort de la meilleure saison de sa carrière. Le coureur du Zeta Cycling Club a remporté sa première victoire UCI ainsi que le Swiss Bike Challenge avant de décider de stopper sa carrière à haut-niveau pour se concentrer sur ses études. Actuellement en Nouvelle-Zélande, il ne rangera pas pour autant son vélo au placard mais souhaite lui trouver une place différente dans sa vie.
Justin, tu as signé ta première victoire en classe 1 UCI cette saison. Plus globalement, quel bilan dresses-tu de cet exercice 2019 ?
Cela a été une bonne saison. J’ai eu un peu de peine à la démarrer car j’ai changé d’entraîneur et il y avait pas mal de choses à mettre en place. Ensuite, je n’ai pas pu aller en Grèce avec mon équipe sur le Tour de Rhodes en raison de mes études. Cela a retardé mon début de saison et le premier mois a été très léger.
Puis j’ai pu augmenter mon niveau petit à petit et c’est sur le Tour Savoie Mont-Blanc que j’ai vraiment eu une sorte de déclic. J’ai ensuite réalisé de super championnats suisses et j’ai surtout décroché mon étape en solitaire sur la classe 1 du Sibiu Cycling Tour. Je savais que j’y arrivais en forme, mais de là à faire ce que j’ai fait… C’était mon jour, tout était réuni pour que cela marche ce jour-là. Et porter le maillot jaune le lendemain a été une superbe expérience.
Cela m’a vraiment mis en confiance, et dans la tête tout parait plus facile lorsque l'on se sent bien. Après il faut aussi éviter de se surestimer. Cela a été légèrement le cas lors du Kreizh Breizh, où je me voyais assez fort et j’ai du coup commis quelques erreurs tactiques. Mais globalement c’était une très belle saison.
Ta meilleure depuis que tu fais du vélo ?
Je pense que oui. C’était la première fois que je gagnais une course UCI et j’ai porté tous les maillots distinctifs ! Il faut dire que cela faisait déjà un petit moment que je réfléchissais si j’allais ou non continuer le vélo à ce niveau. Et à partir du mois de juin déjà j’avais pris la décision que j’arrêtais à la fin de la saison. Je l’ai gardé pour moi, mais tout était clair : ma fin de saison serait axée plaisir et sans aller à la recherche d’un contrat pro. Je me suis donné à fond quand même, mais sans pression. Je pense que cela m’a aidé car c’est à partir de là que j’ai commencé à faire des résultats.
Et cette victoire n’a pas remis en cause ta décision ?
J’y ai réfléchi, c’est sûr. Mais il aurait fallu d’autres victoires pour trouver un contrat et me faire changer d’avis. Parce que continuer chez Akros, ce n’était plus vivable pour moi. Je n’avais pas de salaire et il y a quand même pas mal de dépenses. Je n’arrivais pas à concilier vélo et université. Je suis quelqu’un qui aime faire les choses à fond et je ne voulais pas mener deux activités « à moitié ». C’était clair que je n’allais pas abandonner les études pour une situation précaire dans le vélo. Et puis mes études me plaisent vraiment alors ce n’est pas un problème de me consacrer uniquement à cela.
Tu n’as eu aucun contact suite à cette victoire ?
Non, aucun. Et je n’ai pas cherché à en avoir. Il y a 2 ans, j’avais envoyé quelques dossiers. J’avais eu des réponses dans lesquelles on me disait qu’on allait me recontacter mais cela n’a jamais été le cas. Au final, sans un manager qui recherche un contrat pour nous, c’est difficile de trouver une équipe au plus haut niveau. Peut-être que je pouvais trouver une autre équipe continentale en Suisse ou une DN1 française, mais le problème aurait été le même. En DN1, il y a parfois un petit salaire, mais j’aurais eu l’impression de faire un pas en arrière avec un calendrier légèrement moins attractif.
En regardant dans le rétroviseur l’ensemble de ta carrière, quel regard portes-tu sur celle-ci ?
Il y a forcément quelques points que je ferais différemment si c’était à refaire. Mais je n’ai pas vraiment de regrets. Mes deux saisons chez Hörmann étaient nécessaires pour apprendre le vélo et ne pas brûler les étapes. Je n’étais pas un coureur avec un gros talent, il me fallait beaucoup de travail. Puis il y a eu ces deux saisons chez Akros qui étaient vraiment intéressantes. La première m’a servi à apprendre, la seconde, la dernière, à me faire plaisir en étant bien armé. J’ai découvert un milieu où cela court vraiment différemment du milieu amateur.
Si tu avais un conseil à donner à un coureur qui sort de ses années juniors, quel serait-il ?
Je dirais de vraiment faire attention à ne pas vouloir brûler les étapes. En sortant des juniors et en rejoignant Hörmann, je me voyais déjà avec un bon niveau élite alors qu’en réalité, quand on sort des juniors on en est très loin, et il y a encore un fossé entre les élites et les pros. Ils ont un niveau tellement stratosphérique, c’est incroyable. Il ne faut pas croire, sauf de rares exceptions, qu’après 1 ou 2 années espoirs on aura le niveau pour courir contre eux. Si on n’y est pas préparé, on peut se prendre une énorme claque qui démotive.
Le mieux pour un jeune reste de trouver rapidement une équipe élite, mais pas forcément au niveau continental directement. Puis faire ses armes, progresser petit à petit sur la durée tout en étant sérieux. Ce n’est pas toujours évident car on se coupe forcément du monde, on perd le contact avec certains de ses amis. Ce n’est pas facile, il faut vraiment être motivé, savoir ce que l’on veut et se donner les moyens de nos ambitions.
Avec le recul, tous ces sacrifices… Est-ce que cela en valait la peine ?
Oui ! Finalement, j’ai énormément voyagé, j’en ai appris énormément sur moi-même, j’ai forgé mon caractère et cela va me servir énormément dans le monde professionnel, j’en suis certain. D'ailleurs, j’ai un autre conseil pour les jeunes : n’arrêtez pas vos études trop tôt, c’est une énorme erreur. Il faut rechercher un équilibre entre les études et le vélo. J’ai pu voir certains juniors qui s’entraînent plus de 20 heures par semaine et qui ne travaillent plus. Ils sont forts sur le moment mais n’ont plus de marge de progression. Encore pire, ils n’ont rien pour assurer leurs arrières s’ils échouent dans leur quête de professionnalisme, ce qui est le cas la plupart du temps.
Tant que l'on n’a pas au moins un CFC, je pense que c’est ridicule d’arrêter de travailler ou de stopper ses études.
Quelle sera la suite pour toi ?
Déjà, je suis parti en Nouvelle-Zélande pour 8 mois. Pour la suite de mes études, je dois parler parfaitement l’anglais et c’était sûrement l'un des meilleurs moyens d’y parvenir. C’est vraiment le bon moment car cela me permet de faire un break, de totalement changer de vie et de ne pas ressasser cette décision d’arrêter la compétition à haut niveau. En étant chez moi, cela aurait pu être plus difficile en voyant les collègues rouler.
Au final, je suis encore jeune mais j’ai l’impression de n’avoir fait que du vélo toute ma vie. Donc arrêter c’est un gros changement et en coupant d’un coup à l’étranger, c’est un peu comme partir en vacances. C’est un changement de plus mais cela permet de le vivre plus en douceur. Cela dit, j’adore toujours autant faire du vélo, cela reste un loisir. J’ai continué de rouler, pratiquement autant d’heures qu’avant d’ailleurs. Je m’amuse, j’ai fait quelques énormes sorties mais aussi d’autres sports. Sans aucune pression.
On risque de te revoir de temps en temps sur une course régionale ?
Oui, c’est le but. Je ne sais pas trop comment cela se passera au terme de ces 8 mois mais j’aimerais bien, en rentrant en Suisse, faire un certain nombre de courses régionales et peut-être les championnats suisses, notamment en contre-la-montre. Je souhaite faire du vélo pour le plaisir mais rester un minimum compétitif.
Ce qui m’ennuyait le plus, c’est de devoir toujours faire ce qu’on nous demande parce que c’est sportivement « le mieux ». Par exemple une heure de récupération quand il fait grand beau puis 5 heures le lendemain quand il pleut. Je n’ai plus envie de refuser une raclette proposée par un ami parce que je dois faire attention à tout ce que je mange. Jusqu’ici, c’est le vélo qui a décidé de ma vie. Aujourd’hui je veux pouvoir faire les choses comme je veux. Faire beaucoup de vélo par moment mais sans que ça soit lui qui décide. La compétition n’est pas totalement terminée, c’est plutôt un mode de vie que je laisse derrière moi. Dorénavant ce sera d’abord le plaisir et selon l’envie du moment.
Une autre question que je me suis posée, c’est : « Est-ce qu’avoir une vie de professionnel, par exemple en Conti Pro, aurait vraiment correspondu à la vie que je souhaitais avoir ? ». Je n’en suis pas sûr. Certains diront que je dis ça comme excuse parce que je n’y suis pas parvenu. Je n’avais peut-être pas le niveau mais la question n’est pas là. J’aurais adoré signer un contrat pour me dire que je suis arrivé au bout, que j’ai réussi. Mais je ne sais pas si je serais resté longtemps dans ce milieu-là.
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