Mathieu RODUIT 14 juillet 2018 Interview


Pirmin Lang : «Nous voulons une approche globale»

Le manager de la nouvelle équipe Swiss Racing Academy fait le bilan après sept mois d'existence de sa structure.

© Tam Berger / Swiss Racing Academy

Mise sur pied au début de la saison 2018, l'équipe Swiss Racing Academy (qui accueille deux Romands, Carl Schütz et Benoit Guinchard) innove par bien des aspects. Avec la volonté de donner tous les moyens de passer à l'échelon supérieur à ses coureurs, sans fragiliser leur équilibre de vie, la formation de Pirmin Lang (33 ans) joue la carte de la différence.

Si le tricot immaculé d'un rouge uni fait office d'exception dans les pelotons helvètes, l'ex-coureur d'IAM Cycling, passé au rôle de manager, entend se distinguer avant tout par la qualité du travail réalisé à l'interne. Et il commence à récolter les premiers fruits d'un dur labeur. Confidences.


Pirmin, le maillot rouge des Swiss Racing Academy ne passe pas inaperçu dans les pelotons. Se démarquer était le but de votre équipe ?

Pas le but premier, non. Nous sommes plus intéressés par faire que par se faire voir. Le rouge était un choix évident étant donnée notre identité suisse et nous souhaitions au contraire avoir un look certes esthétique mais également très classique. À ce stade de développement de nos coureurs, ce n’est pas le maillot qui compte, mais ce qu’ils produisent sur le vélo. Nous essayons de nous distinguer plutôt par la qualité de notre travail.


En quoi ce projet est novateur dans le cyclisme helvétique amateurs ?

Je ne dirais pas novateur, bien des structures nous ont précédés et nous n’avons rien inventé. Nous nous démarquons peut-être par notre approche, que nous voulons globale. Je pense que pour devenir un athlète de haut niveau, il faut tout d’abord être une personne de haut niveau et c’est pourquoi nous prêtons une attention particulière à tous les éléments qui composent la vie de nos membres : études, travail, famille, comportement hors vélo, tout compte chez nous.

La mission première de la SRA est de fournir un cadre professionnel aux jeunes coureurs sans leur faire subir prématurément les pressions qu’ils rencontreront dans les équipes pros. Notre but est de les accompagner, les protéger et les former pour qu’ils intègrent les formations professionnelles avec les jambes et la tête bien faites.


Devenir manager d’une équipe, c’était un rêve caché ?

Non, ni caché, ni un rêve. Je dois tout au cyclisme, qui m’a permis d’avoir une carrière et de construire ma vie. Je savais que si l’occasion se présentait, j’essaierais de rendre ce qui m’avait été donné. La fin de ma carrière professionnelle en 2017 a coïncidé avec un moment particulier pour les jeunes talents suisses. Suite à l’arrêt de la BMC Devo Team, les opportunités de formation étaient bien faibles pour nos jeunes, c’était le moment d’essayer de les aider.


Après six mois d’existence, l’équipe Swiss Racing Academy vous donne-t-elle entière satisfaction ?

La satisfaction est l’ennemie de l’évolution. Et il me semble qu’elle ne peut jamais être entière, on peut toujours faire mieux. J’éprouve de la fierté en voyant le sérieux et l’engagement de nos coureurs. Ils ont prouvé sur cette première partie de saison qu’il fallait compter avec eux et que nous pouvions compter sur eux, et ça, c’est effectivement très satisfaisant.


«La satisfaction est l'ennemie de l'évolution».





Face aux moyens déployés par Akros et IAM, comment parvenez à trouver votre place ?

À la pédale (rires) ! Plus sérieusement, je ne crois pas, et encore plus au niveau U23 ou Elite, que la différence se fasse en termes de moyens, mais beaucoup plus dans la volonté et le sérieux du travail accompli. Notre équipe est actuellement en tête de la Tour de Suisse Cup, ce qui tente à prouver que les résultats ne sont pas toujours directement liés à l’investissement budgétaire. Cette première place démontre également notre attachement à notre pays, ses coureurs, sa fédération et ses organisateurs de courses.

Je regrette de voir partir nos meilleurs talents dans des formations étrangères et j’estime qu’en tant qu’équipe suisse, nous avons la responsabilité de participer activement et prioritairement à la vie de notre sport dans notre pays et de travailler avec des coureurs helvètes. Nos hommes représentent le futur et si nous ne nous mobilisons pas tous activement pour faire vivre le cyclisme chez nous, nous ne leur laisserons que peu de perspective pour l’avenir.


Vous êtes un ancien professionnel d’IAM Cycling. Se retrouver rival d’une équipe élites (IAM Excelsior) dirigée par les mêmes têtes doit vous faire drôle ? Êtes-vous resté en bons termes avec Michel Thétaz et IAM ?

Bien sûr, Monsieur Thétaz est un homme extraordinaire, qui a apporté beaucoup au cyclisme suisse et qui m’a également apporté beaucoup à titre personnel. Je lui en suis reconnaissant et serai toujours disponible pour lui. Pour les raisons expliquées plus tôt, je préfère penser que nous sommes en complémentarité plutôt qu’en rivalité.

Même si nous sommes en opposition directe sur certaines courses et sur les championnats, les autres équipes du pays ont chacune leur manière de faire et leurs buts mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit de sport, nous respectons et saluons le fait que nos adversaires participent aussi au développement du cyclisme.


De IAM Cycling, vous avez aussi repris Rubens Bertogliati en qualité d’entraîneur en chef. Pourquoi ce choix ?

Je connaissais Rubens bien avant que nous nous retrouvions dans la même équipe, dans laquelle il n’était d’ailleurs pas mon entraineur attitré. Son profil était idéal pour collaborer avec la Swiss Racing Academy : Il est tessinois, ce qui représente le double avantage de créer un lien avec cette partie du pays et Ticino Cycling, il a été un grand coureur, ce qui lui donne une compréhension parfaite des problématiques que nous rencontrons, il est un entraineur de grande qualité, et enfin, peut-être le plus important, il a un vrai savoir-faire avec les jeunes. Ses qualités humaines sont très appréciées chez nous, il sait faire travailler et faire évoluer sans passer par l’autorité ou la pression négative.


Avec deux coureurs romands, Carl Schütz et Benoit Guinchard, cela fait de vous une équipe multiculturelle, à l’image du pays. Vous y aviez pensé ?

Je suis ravi de constater que la nouvelle génération est beaucoup moins sensible aux relatives tensions entre francophones, italophones ou germanophones, qui sont souvent basées sur des a priori. Ils ne savent pas ce que ‘’Röstigraben’’ veut dire et c’est très bien ainsi. Trop souvent, par le passé, les origines géographiques des coureurs ont ouvert ou fermé des portes chez nous. La nôtre sera toujours ouverte à ceux qui décident, veulent et peuvent nous rejoindre.

Qu’ils soient de Zurich, de Neuchâtel ou de Sion, nous proposons à nos coureurs des valeurs, une approche, un système. S’ils y adhèrent, ils sont les bienvenus, d’où qu’ils viennent en Suisse. Pour revenir sur l’exemple de Carl, je pense qu’il parlera couramment le Berner Schwyzerdütsch d’ici la fin de la saison (rires). La mixité des profils de coureurs, des caractères et des origines n’a que des bons côtés. Ils y seront de toute façon confrontés dans les équipes pros.





«La nouvelle génération est beaucoup moins sensible aux relatives tensions entre francophones, italophones ou germanophones».


Carl a 22 ans et Benoit 20 ans. Les portes du professionnalisme se rapprochent doucement. L’ex-pro que vous êtes leur donne quelles chances d’ouvrir ces portes ?

Ce n’est pas moi qui leur donne une chance, c’est avant tout eux même et l’équipe. Nous commençons toujours par reprendre les bases : hygiène et équilibre de vie, travail et entraînement sur le vélo, volonté et capacité à passer pro. Nous luttons contre l’idée qu’il suffit d’être doué pour devenir professionnel. C’est personnellement ce que je peux leur apporter, leur rappeler que d’être cycliste pro, pour ceux qui auront une chance de le devenir, c’est aussi un choix de vie qui implique d’immenses sacrifices.


Jusqu'en avril 2018, le Genevois Jonathan Russo appartenait à votre équipe. Pourquoi l'avoir remercié ?

Effectivement, je regrette d’avoir eu à mettre fin à notre collaboration avec Jonathan qui est un talentueux et sympathique jeune homme. Comme expliqué, nous attendons beaucoup de nos coureurs à tous les niveaux. Des règles simples et strictes régissent notre équipe, notamment quant à la communication interne qui doit être précise et régulière. Chaque coureur doit informer l’équipe de son emploi du temps, de toutes les actions engagées en lien avec son entraînement et des courses hors du programme de l’équipe auxquelles il participe.

Malgré plusieurs avertissements, nous n’avons malheureusement pas trouvé de terrain d’entente sur ces points particuliers avec Jonathan et ça a entaché notre confiance mutuelle, qui est un point essentiel chez nous. Sans cette confiance, nous ne pouvions plus avancer ensemble. Je suis persuadé qu’il en tirera les enseignements et nos chemins se recroiseront peut-être.


Votre équipe n’a pas encore sabré le champagne cette saison. Et pourtant, ce ne sont pas les opportunités qui ont manqué…

Nous ne sommes pas portés sur la bouteille, mais nous avons dignement fêté notre victoire à Gippingen (Fabian Paumann), ainsi que la médaille d’or obtenue sur les championnats de suisse montagne (Matthias Reutimann). Les multiples places sur les podiums des championnats (en chrono, Paumann bronze, en route Lüscher argent et Paumann bronze) nous ont aussi donné des occasions de nous réjouir.





Faites-vous des victoires une fixation ?

Cela dépend de ce que l’on entend par victoires. Lorsqu’un de nos hommes passe avec succès ses examens d’apprentissage, c’est une victoire pour nous. Lorsqu’un coéquipier fait son travail pour l’équipe, c’est une victoire également. Tous signes d’évolution, de perfectionnement ou de satisfaction sont des victoires pour nous. Nous en avons assez pour effectivement ne pas nous fixer sur les victoires uniquement sur les courses.


Qu’est-ce qui ferait du projet Swiss Racing Academy un projet accompli ?

Devenir une référence en termes de formation dans notre pays. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois ou années pour voir si nous y sommes parvenus. Et j’en profite pour vous remercier pour cette invitation et pour le travail de médiatisation que fait La Pédale Romande pour le cyclisme romand et suisse. En lui donnant de la visibilité, vous participez aussi à son développement. Merci.


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